Alphonse de Lamartine

(Mâcon 1790 – Paris 1869)

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La sagesse (extrait)

Ô vous, qui passez comme l’ombre
Par ce triste vallon des pleurs,
Passagers sur ce globe sombre,
Hommes ! mes frères en douleurs,
Ecoutez : voici vers Solime
Un son de la harpe sublime
Qui charmait l’écho du Thabor :
Sion en frémit sous sa cendre,
Et le vieux palmier croit entendre
La voix du vieillard de Ségor !


Le Jourdain vers l’abîme immense
Poursuit son cours mystérieux ;
L’aquilon, d’une aile rapide,
Sans savoir où l’instinct le guide,
S’élance et court sur vos sillons ;
Les feuilles que l’hiver entasse,
Sans savoir où le vent les chasse,
Volent en pâles tourbillons !

Et vous, pourquoi d’un soin stérile
Empoisonner vos jours bornés ?
Le jour présent vaut mieux que mille
Des siècles qui ne sont pas nés.
Passez, passez, ombres légères,
Allez où sont allés vos pères,
Dormir auprès de vos aïeux.
De ce lit où la mort sommeille,
On dit qu’un jour elle s’éveille
Comme l’aurore dans les cieux !
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Adieux à la poésie (extrait)

Il est une heure de silence
Où la solitude est sans voix,
Où tout dort, même l’Espérance ;
Où nul zéphyr ne se balance
Sous l’ombre immobile des bois ;

Il est un âge où de la lyre
L’âme aussi semble s’endormir,
Où du poétique délire
Le souffle harmonieux expire
Dans le sein qu’il faisait frémir.

Adieu donc, adieu, voici l’heure,
Lyre aux soupirs mélodieux !
En vain à la main qui t’effleure
Ta fibre encore répond et pleure :
Voici l’heure de nos adieux. 
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Méditations suivi de nouvelles méditations, Gallimard, 1963
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