Arthur Rimbaud

(Charleville 1854 – Marseille 1891)

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Sensation (extrait)

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, - heureux comme avec une femme.
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Les reparties de Nina (extrait)

Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l’air plein la narine,
Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d’amour
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Oraison du soir (extrait)

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier, 
Empoignant une chope à fortes cannelures, 
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier 
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures. 

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier, 
Mille rêves en moi font de douces brûlures : 
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier 
Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures. 
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Poésie, Une sensation en enfer, Illuminations, Gallimard, 1999
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